L’ENTERREMENT à ORNANS
Une étude du tableau de Gustave COURBET par Veronique Perriol
Des personnages connus à l’enterrement d’un inconnu :
La notion de tableau d’histoire est transgressée par Gustave Courbet dans son « Enterrement à Ornans » peint entre 1849 et 1850 et conservé au Musée d’Orsay à Paris. Cet enterrement à Ornans, un petit village proche de Besançon d’où est originaire l’artiste, n’est pas l’enterrement d’une personne connue. Rien ne permet en effet de déterminer qui est le défunt. Courbet élève la vie d’un anonyme au rang de l’histoire.
A partir des archives municipales et des actes notariés, les historiens ont pu donner un nom à presque tous les personnages : par exemple le maire (Prosper Teste), le fossoyeur (Antoine Joseph Cassard). Je ne rentre pas dans le détail de l’identification des personnages que l’on retrouve dans tout bon ouvrage sur Courbet. Ce tableau présente donc des portraits et non des personnages fictifs. Courbet a d’ailleurs fait poser les personnages pour les peindre successivement dans le grenier dans la maison familiale à Ornans. Pour l’anecdote, son grenier étant trop petit, il enroulait la toile et peignait d’un côté, puis il enroulait le côté opposé pour poursuivre sa peinture. Un œil attentif pourra remarquer des coutures qui divisent la toile de haut en bas par deux fois.
Une composition hiérarchisée :
Brièvement au sujet de la composition. Nous avons le trou au premier plan qui fait office de tombe alors que les personnages disposés sur plusieurs rangs oblitèrent la vue du cimetière. Une série de diagonales descendantes scinde l’espace de gauche à droite et rythme la composition. Elles sont formées par le prolongement de la branche horizontale du crucifix et des lignes du cercueil incliné qui convergent vers le trou. Elles soulignent d’une part la tombe et d’autre part le mouvement des personnages. L’œuvre est également divisée verticalement en trois parties. De gauche à droite, le corps ecclésiastique avec les officiants, ensuite les hommes puis les femmes ce qui rappelle leur répartition dans une église.
Un message politique caché :
Ce tableau entretient un rapport particulier à l’histoire. Depuis 1789, les cimetières accolés aux églises se sont engorgés progressivement et les villes et villages ont dû en créer d’autres à l’extérieur. C’est pourquoi sans doute on voit dans le tableau de Courbet, un simple trou pour recevoir le corps. On ne voit pas les autres tombes comme si le corps allait être enterré en pleine nature car rien ne permet de caractériser ce lieu. Seules les collines et falaises se détachent au loin. Ce tableau correspond à une période de l’histoire française très différente du tableau de David, même si seulement 50 ans les séparent. Le tableau de Courbet a été achevé en 1850 et il prend en compte le changement de régime politique par la présence de deux révolutionnaires au premier plan à côté du chien. Les vêtements de ces révolutionnaires sont ceux des années 1792-1793, mais ils permettent de rappeler à la mémoire la seconde révolution, celle de 1848, qui vient de se produire au moment de la réalisation du tableau. Elle s’est déroulée à Paris les 23, 24 et 25 février 1848, lorsque Paris se soulève suite à une fusillade. La capitale est contrôlée par les républicains et les libéraux ce qui contraint Louis-Philippe à abdiquer. La Deuxième République est crée le 25 février 1848, puis Louis Napoléon Bonaparte (le futur Napoléon III) est élu président de la république, le 10 décembre 1848. Au pied des révolutionnaires se trouve un crâne qui qualifie certes le lieu, qu’est le cimetière, mais il engage une autre signification. Courbet fait sans doute référence à la franc-maçonnerie du village d’Ornans pour qui le crâne symbolise le cycle initiatique et la renaissance à un niveau de vie supérieur. Il est à noter que le chien renforce le symbolisme du crâne, puisque le chien possède comme fonction mythique universellement attestée de psychopompe, c’est-à-dire qu’il guide l’homme dans la nuit de la mort. De la sorte, en disposant un crâne au pied des révolutionnaires, Courbet signale la renaissance de la révolution puis de la république. Un tel usage du crâne n’est pas unique dans l’œuvre de Courbet. On le retrouve notamment dans « L’atelier » dont le titre complet est « L’atelier du peintre, Allégorie réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique ». Le crâne est alors disposé sur une chaise, juste derrière la toile que peint l’artiste.
Un enterrement symbolique :
Dans « Un enterrement à Ornans », Courbet transgresse la peinture d’histoire et la figure du pouvoir en utilisant ses codes pour offrir une représentation du quotidien. Mais à travers cette banalité du quotidien transparaît les opinions politiques de Courbet, son engagement envers la république Proposer une telle représentation a suscité une violente polémique lors de la présentation de la toile au Salon de peinture de 1850. On lui a reproché sa vulgarité, et Courbet fut accusé de peindre le laid, le trivial et l’ignoble. Certains diront par exemple : « Ce n’est pas la restauration du laid, c’est la poursuite et la recherche de l’ignoble » Ou encore un dessin de Daumier figurent des bourgeois en train de se demander s’il est « possible de peindre des gens aussi affreux ? » En 1861, Courbet définit le réalisme comme art démocratique. L’enterrement à Ornans est une sorte de tableau manifeste puisqu’il est littéralement l’enterrement de la monarchie et du romantisme auquel Courbet a d’ailleurs participé jusqu’en 1848. Il s’agit d’une négation du romantisme et de la notion d’idéal qui permet pour Courbet une émancipation de l’individu et l’accès à la démocratie. Courbet dit : « C’est en ce sens que je nie l’art historique appliqué au passé. L’art historique est par essence contemporain. Chaque époque doit avoir ses artistes qui l’expriment et la reproduisent pour l’avenir »