Le Musée universel, les complexités d'une utopie réelle généreuse : épisode • 1/5 du podcast L'Art est le musée

Fresque de Ducos de la Haille (1931), forum du Palais de la Porte Dorée. - © Palais de la Porte Dorée
Fresque de Ducos de la Haille (1931), forum du Palais de la Porte Dorée. - © Palais de la Porte Dorée
Fresque de Ducos de la Haille (1931), forum du Palais de la Porte Dorée. - © Palais de la Porte Dorée
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La notion de musée universel est confrontée à des critiques nouvelles, plongeant dans l’interprétation du passé comme dans celle du présent. Le musée universel visait à rassembler dans un même lieu toutes les richesses du monde, afin de les mettre à disposition de tous.

Avec
  • Pierre Singaravélou Historien spécialiste des empires coloniaux et de la mondialisation, professeur au King's College de Londres et à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne.
  • Constance Rivière Directrice du Musée de l'histoire de l'immigration

L’idée, généreuse et humaniste, de Musée universel, se fondait sur la volonté d’ouvrir à toutes et tout un lieu dédié à l’éducation comme au plaisir de la découverte. La conception d’un « universalisme à la française », qui incluait la dimension humaine de celles et ceux accueillis au musée, se distinguait de l’aspiration encyclopédique.

Pendant une grande partie du XIXe siècle, la dimension universelle de l’institution muséale a sous-tendu la réflexion des conservateurs des musées, au Louvre notamment, dans la complémentarité des collections. Elle s’exprimait, notamment, par la curiosité portée aux œuvres de civilisations lointaines et distantes, découvertes grâce aux fouilles conduites notamment au Moyen-Orient (Assyriens/Khorsabad), ou par l’intérêt suscité par certaines acquisitions  comme, par exemple, la collection Latour-Allard Antiquités mexicaines.

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Sans disparaître totalement, l’idée de musée universel, non comme substrat historique, mais comme horizon de développement, s’effaça, notamment après la seconde guerre mondiale. La création de nouveaux musées nationaux, chacun engagé dans des objets ou des périodes différents, privilégiait l’étude de collections singulières. En revanche, en parallèle, l’enjeu de l’ouverture à tous demeurait comme une aspiration renouvelée.

La notion trouva un nouvel écho, en 2002, avec la publication, par les directeurs de plusieurs grands musées, de la déclaration de l’importance et de la valeur des musées universels, évoquant notamment les premières demandes de restitutions. Puis, surtout, en 2007, avec la création, du Louvre Abu Dhabi, nouveau musée né de l’accord entre les Émirats arabes unis et la France, qui se revendique comme musée universel tout en questionnant les contours de la définition et en lui donnant une actualité nouvelle.

Aujourd’hui, s’est faite jour une contestation forte de l’universalisme perçu comme une vision dominante, partant du seul point de vue occidental. Le musée universel, bien que né avant toute mise en œuvre d’une politique coloniale, apparaît comme inféodé au colonialisme et figurant aujourd’hui son expression symbolique la plus forte.
L’engagement des musées ne manque pourtant pas, et la réflexion mise en œuvre dans les institutions est, face à ces critiques, manifeste.

Pour en parler, Dominique de Font-Réaulx, conservateur général au musée du Louvre, productrice de la série " L'Art est le musée", reçoit, pour le premier épisode, Constance Rivière, directrice générale de l’Etablissement public du Palais de la Porte Dorée et Pierre Singaravélou, historien, professeur à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et au King’s College à Londres.

Les Nouvelles vagues
59 min

Pierre Singaravélou "Je crois qu'aujourd'hui, ce qui est intéressant, c'est qu'une nouvelle réflexion est menée un peu partout dans le monde sur ce qui demeure pertinent dans le projet du Musée universel, en ce qu'il nous oblige à penser en dehors de nous-mêmes. [...] Les musées universels nous obligent à penser l'ailleurs, à penser les autres et surtout nous rappellent systématiquement que la plupart des œuvres d'art sont issues d'une histoire transnationale. [...] La plupart de ces œuvres, que ce soit des œuvres archéologiques ou de la peinture impressionniste, résultent d'appropriation, de transfert et de réinventions. Le musée universel nous rappelle ces connexions, ces circulations indispensables à cette réflexion sur l'histoire de l'art."

Constance Rivière "Si le musée a bien une vocation importante dans la société, c'est celle de contribuer progressivement à ce que l'histoire commune devienne une mémoire partagée. Et donc des pays qui seraient privés de toute capacité à raconter cette histoire à travers des œuvres et des objets seraient aussi privés du droit de pouvoir raconter leur propre récit."

Constance Rivière "La question du lien entre le Musée de l'histoire de l'immigration et le palais colonial est un lien qui a posé beaucoup de questions dès sa création. [...] C'est un bâtiment qui raconte sur son bas-relief, de manière extrêmement caricaturale, les apports des colonies à la France [...]. Et puis chaque pays est caractérisé par ses matières premières avec des représentations très structurales de corps à moitié nus. [...] On est bien sûr un bâtiment qui est un bâtiment de propagande coloniale avec toutes les difficultés que cela peut représenter."

Scène de chasse à l'hippopotame du bas-relief
Scène de chasse à l'hippopotame du bas-relief
- Pascal Lemaître © Palais de la Porte Dorée

Constance Rivière "L'Universel dont on parle aujourd'hui pour les musées est un sujet est éminemment politique tout au long du XIXᵉ siècle et pour la première moitié du XXᵉ siècle. Par exemple, l'universel des droits s'est pendant très longtemps accommodé que les femmes n'aient pas le droit de vote ; or en même temps, c'est au nom de cet universel que les femmes ont pu réclamer le droit de vote et l'obtenir. Donc l'ambiguïté de l'universel du musée universel est consubstantielle à la notion même d'universalité."

Pierre Singaravélou "Le musée du Louvre, à partir de 1793, et le British Museum, à partir de 1753, constituent les prototypes de ce musée universel et incarnent ses ambivalences. Le Musée universel est un musée qui prétend accueillir des œuvres d'art des quatre coins du monde. Mais c'est aussi un musée qui souhaite s'adresser à tous les peuples de la planète.[...] C'est-à-dire un musée universaliste par ses collections et cosmopolite du point de vue de ses visiteurs. Mais je parlais de paradoxes car l'universalisme des collections du Louvre résulte en partie d'une prédation des guerres révolutionnaires puis des guerres napoléoniennes."

Constance Rivière "La vraie question est, pour reprendre l'expression de Souleymane Bachir Diagne : comment est-ce qu'on arrive à être dans un "universel horizontal" qui est un universel de la relation et non pas un universel de l'imposition ?"

Pierre Singaravélou "L'Espagne était considérée jusqu'au début du XIXᵉ siècle par la plupart des critiques d'Europe de l'Ouest comme un pays arriéré et oriental, qui n'était pas aussi digne d'intérêt que les antiquités gréco-romaines, mais aussi que les grandes écoles de peinture italienne de la Renaissance, ou encore les primitifs flamands. [...] Et en 1838, Louis-Philippe envoie le baron Taylor en opération pendant les guerres carlistes pour récupérer 450 toiles parmi les plus grands maîtres espagnols, afin d'ouvrir une galerie espagnole au Louvre. [...] C'est la puissance de ces grands musées universels que de consacrer immédiatement une école de peinture."

L'Annonciation (détail) de Zurbarán (1638-1639), toile exposée à la Galerie de Louis-Philippe au Louvre entre 1838 et 1848
L'Annonciation (détail) de Zurbarán (1638-1639), toile exposée à la Galerie de Louis-Philippe au Louvre entre 1838 et 1848
- Francisco de Zurbarán
À écouter ou à réécouter : Pourquoi les musées ?
Le Cours de l'histoire
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À écouter ou à réécouter : Pourquoi a-t-on inventé les musées ?
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Pour aller plus loin

➢ A propos de Constance Rivière
Ses pages de présentation : sur le site du ministère de la culture (communiqué de presse de sa nomination au Palais de la Porte Dorée), sur le site Babelio, sur wikipedia, sur le réseau Linkedin, sa page twitter.
Page de présentation de ses deux romans : *U ne fille sans histoire *(2019) et La maison des solitudes (2021) parus aux éditions Stock.
• A lire, un article,  Constance Rivière, directrice du palais de la Porte-Dorée : "Il faut trouver une forme d'indifférence pour dépasser les faux obstacles", de Lisa Vignoli paru dans le magazine Madame Figaro (Décembre 2022).
Site du Palais de la Porte Dorée.
Présentation du colloque international  Sharing Museums/Musées partagés, organisé par le musée national de l'histoire de l’Immigration à Paris, 20, 21 et 22 octobre 2022.

Pierre Singaravélou
Pierre Singaravélou
- © Claire Delfino

➢ A propos de Pierre Singaravélou
Ses pages de présentation : sur le site de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, son portrait (2021) par Virginie Bloch-Lainé sur le site l'Histoire, sur le site Babelio, sur wikipedia, et sa page twitter.
Ses publications sur le site Cairn.info.
Présentation du cycle de conférences,  Fantômes du Louvre, les musées disparus, donné par Pierre Singaravélou (décembre 2022) et à paraître sous le même titre, (aux éditions du Louvre/Hazan, en octobre 2023).
Présentation de son ouvrage, L es Mondes d'Orsay, paru aux éditions du Seuil en 2021 (site de l'éditeur).
 Présentation de son ouvrage, Le Monde vu d'Asie. Une histoire cartographique, co-écrit avec Fabrice Argounès, géographe, paru aux éditions du Seuil en 2018 (site de l'éditeur).
• A lire, un article, Pierre Singaravélou : « Il faut s’émanciper de l’histoire européenne de l’art en donnant une voix aux sans voix » de Florelle Guillaume paru dans la Revue Beaux-Arts (Octobre 2021).

Extraits musicaux

  • Extrait de la " 9è symphonie en ré mineur" Opus 125, "Choral II : molto vivace" de Ludwig van Beethoven, interprété par l'orchestre du Concertgebouw d'Amsterdam.
  • " L' interview" de et par Christophe - Album : "Bevilacqua" édition deluxe 25è anniversaire (2013).

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