Des images qui représentent le mouvement

La danse fut encore un des sujets majeurs des avant-gardes du début du XXe siècle, d’ailleurs associées à un renouvellement de la pratique chorégraphique. Des représentations de danseurs ou de danseurs sont ainsi présents sur les vases grecs des VIe ou Ve siècle avant notre ère. Elles abondent également dans les tableaux et les sculptures des avant-gardes, participant d’une recherche de l’œuvre d’art totale, capable de convoquer, dans des images destinées d’abord à être vues, une représentation du mouvement qui a souvent débouché sur l’abstraction, une abstraction polysensorielle pour ainsi dire. Aujourd’hui, des artistes continuent à faire du mouvement dansé l’un de leurs sujets de prédilection.

Eric de Chassey "Il n'y a pas besoin de représenter le mouvement pour le suggérer. Bien plus, certaines images sont faites explicitement pour produire littéralement du mouvement. Les artistes se sont rendus compte de ces possibilités bien avant que les scientifiques en donnent les raisons, ils ont rempli leur image de mouvement."

Pour en parler, Eric de Chassey, historien de l'art, directeur de l'Institut National d'Histoire de l'Art (INHA), producteur de la série " **L'art est le mouvement", a invité deux historiennes de l’art, Cécile Colonna et Marcella Lista, et une artiste, Ulla von Brandenburg.

Cécile Colonna "C'est une danse dans l'univers dionysiaque, on est dans l'univers du mythe. L'Univers de Dionysos, c’est toujours très frénétique, très agité, avec la danse des ménades et des satyres qui sont toujours très contorsionnées."

Cécile Colonna "Les danses dans la Grèce antique sont omniprésentes dans le cadre privé ou dans les cadres de la vie de la cité. Mais ce sont toujours des danses collectives, en chœur et c'est une dimension que l'on retrouve aussi dans les images ."

À lire aussi la page sur la série : L'Art est le mouvement

Marcella Lista "La particularité de ce tableau qui est extrêmement riche et difficile à décrire, c'est le contraste entre le mouvement du geste pictural qui est extrêmement animé, très vibrant et, d'une certaine façon, le statisme de ce cavalier qui a l'air d'être une image un peu figée dans son mouvement."

Les invité.e.s

➢ Ulla von Brandenburg

Ulla von Brandenburg "Je m'intéresse beaucoup au mouvement et à toutes sortes de mouvements. Quelqu'un a déjà dit “On est tous artistes”, on peut aussi dire, on est tous danseurs, danseuses parce qu'on bouge."

Ulla von Brandenburg "Dans l'art, on peut devenir quelqu'un d'autre, on a une proposition pour un meilleur futur, un autre monde. Je souhaite la possibilité d'un autre monde ou d'une partie d’un autre monde pour les spectateurs/spectatrices."

• Ulla von Brandenburg est une artiste allemande née en 1974 à Karlsruhe et installée à Paris depuis 2005.
  Après une formation en scénographie à Karlsruhe et une brève incursion dans le milieu théâtral, elle se forme à la Hochschule für Bildende Künste à Hambourg.
• Son œuvre se caractérise par la diversité des supports et des médiums (installations, films, aquarelles, peintures murales, collages, performances…) qui se répondent les uns aux autres et qu’elle met en scène en fonction des espaces d’exposition. Maîtrisant parfaitement les codes de la scénographie, nourrie de littérature, d’histoire des arts et d’architecture mais aussi de psychanalyse, de spiritisme et de magie, elle emprunte aussi bien aux rituels ésotériques et aux cérémonies populaires qu’aux mécanismes et aux codes du théâtre pour explorer la construction de nos structures sociales. Masques, costumes, décors et accessoires relevant de différentes traditions populaires lui permettent ainsi de transgresser symboliquement les normes et les hiérarchies en mêlant subtilement la réalité et les apparences dans des mises en scènes théâtrales.
• Reconnue internationalement, son travail a fait l’objet de nombreuses expositions personnelles comme à la Stuttgartstaats Galerie (2022), au Weserburg Museum für moderne Kunst, Bremen (2021), au Palais de Tokyo, Paris (2020), au MRAC à Sérignan (2019), à la Whitechapel Gallery à Londres (2018), au Musée Jenisch Vevey en Suisse (2018), au Kunstmuseum de Bonn (2018), au Perez Art Museum de Miami (2016) ou encore au Contemporary Art Museum de Saint Louis (2016). En 2023, une exposition est attendue à la Gallerie Nationale Victoria, Melbourne.
• Ses œuvres font partie de collections prestigieuses comme celle de la Tate Modern à Londres, du Mamco à Genève, du Centre Pompidou à Paris, GAM à Turin ou du Mudam à Luxembourg.
• Son travail est représenté par les galeries : Art : Concept à Paris, Pilar Corrias à Londres, la Produzentengalerie à Hambourg et la galerie Meyer Riegger à Karlsruhe.

Ulla von Brandenburg "Les plis et ces installations de rideaux sont tout d'abord un espace, un nouveau monde que j'ai créé, où il y a différents mouvements possibles. Une sorte de miroir entre les mouvements des plis et les mouvements des spectatrices, spectateurs, mais aussi des performeurs."

Ulla von Brandenburg "Le rideau, comme on le connaît dans le théâtre, est évidemment la frontière entre les spectatrices/spectateurs et ce qui est représenté. Je trouve ça hyper intéressant d'essayer de diluer cette frontière, et que les spectatrices/spectateurs puissent aussi devenir des actrices/acteurs."

➢ Cécile Colonna

Cécile Colonna "On retrouve à la fois dans la peinture sur vase, mais aussi dans la sculpture, des aspirations à la retranscription du mouvement."

• Cécile Colonna est conseillère scientifique à l'INHA depuis mars 2017 pour le domaine de recherche Histoire de l'art antique et de l'archéologie. Après des études d’histoire, d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Paris I, elle a travaillé au musée des Antiquités de Rouen en tant qu’attachée de conservation du patrimoine de 2001 à 2005 avant d’être lauréate du concours de conservateur du patrimoine en spécialité musée.
• Elle a rejoint en 2007 le département des Monnaie, Médailles et Antiques de la Bibliothèque nationale de France pour prendre en charge une partie de la collection archéologique, notamment les céramiques et les figurines et reliefs en terre cuite antiques.
• Les deux dernières expositions dont elle a été commissaire sont De Rouge et de Noir. les vases grecs de la collection de Luynes à la BnF, musée des Monnaies, médailles et antiques (2013-2016) et The Berthouville Treasure and Roman Luxury, en partenariat avec le Getty Museum (2014-2017).
• Ses recherches s’intéressent particulièrement aux images grecques, notamment dans la céramique attique, ainsi qu’à l'histoire de la réception de l'antique.
• Elle dirige actuellement plusieurs programmes de recherche à l’INHA sur les collections antiques au XIX e siècle (le Digital Muret, en partenariat avec la BnF, et le Répertoire des ventes d’antiques au XIXe siècle, en partenariat avec le musée du Louvre), et a co-dirigé ces dernières années plusieurs ouvrages sur ces thématiques : Dessiner l'Antique. Les recueils de Jean-Baptiste Muret et de Jean-Charles Geslin (Paris, 2019), Trésors de l’Antiquité : céramiques grecques du musée de Boulogne-sur-Mer (Lille, 2019), Winckelmann et l’oeuvre d’art (Paris, 2021) ou encore La Belle Époque des collectionneurs d’antiques en Europe.1850-1914 (Paris, 2022).
• Elle travaille actuellement avec une équipe de recherche à l’étude et la valorisation de la collection de vases grecs du musée Antoine Vivenel à Compiègne dans le cadre de la rénovation de leur salle d’exposition pour 2024.

➢ Marcella Lista

Marcella Lista "L'objectif du travail de Sonia Delaunay dans “le Bal Bullier”, c'était de chercher un point d'appui dans un art du temps pour réformer en profondeur le langage de la peinture. Aussi bien la danse que la musique, ont joué le rôle d'analogon de la peinture au début des années 1910."

• Marcella Lista est historienne de l'art et conservatrice en chef au Musée national d'art moderne - Centre Pompidou, pour la collection Vidéo, Son et Nouveaux Médias.
• Marcella Lista a consacré ses premiers travaux de recherche au renouveau de l’oeuvre d’art totale dans les années 1908-1914, à travers la perspective des arts visuels et notamment les rapports entre musique et abstraction : L’oeuvre d’art totale à la naissance des avant-gardes (éditions de l’INHA, 2006).
• Son approche de la modernité privilégie, d’une part, une archéologie des nouveaux médias et le rôle de ceux-ci dans la transformation des formes artistiques ; d’autre part, une attention au développement des langages du corps, de la danse et de la performance et leur importance dans l’évolution des arts visuels et du discours sur l’art.
• Elle a été commissaire de plusieurs expositions : Sons et Lumières : une histoire du son dans l’art du XXe siècle (Centre Georges Pompidou, 2004, en collaboration avec Sophie Duplaix) ; Corps étrangers : Danse, dessin, film (musée du Louvre, 2006) ; Pierre Boulez. Oeuvre : Fragment (musée du Louvre, 2008), et  Paul Klee : peinture, musique, modernité (Musée de la musique, 2011).
• Depuis 2004 , elle est détachée de l’Enseignement supérieur en tant que Responsable de la programmation en art contemporain et architecture à la direction de l’Auditorium du Louvre. Depuis octobre 2011, elle mène à la Villa Médicis une recherche sur le sujet : « Danse, modernité et abstraction, 1910-1930 » (source site de la villa Médicis / 2010/2011).
• Elle a récemment été commissaire au Centre Pompidou des expositions : Martha Wilson à Halifax 1972-1974 (2021), Hassan Khan. Blind Ambition (2022) et Ma Desheng (2022), toutes au Centre Pompidou et  au Fresnoy - Studio national des arts contemporains, une exposition autour du travail de l'artiste ouzbek Saodat Ismailova, (2023).
• Marcella Lista a contribué à deux numéros de Side Magazine : The Moped Rider (décembre 2021) avec l’article “In Moto” en compagnie de Lou Ferrand et Yasmine d’O. et An Acrobats (août 2022) avec “Distinguished Pieces”, une présentation du travail de l'artiste et chorégraphe La Ribot.

Marcella Lista "Il y a ce débat entre d'un côté libérer le corps, donc le donner à voir, le montrer dans son état naturel, sans corset, sans toutes les contraintes imposées par le costume du ballet et de l'autre, le travail de quelqu'un comme Loïe Fuller, cette immense danseuse américaine, qui va explorer la possibilité inverse, au contraire de presque dissimuler le corps."

Pour aller plus loin

• Son et lumière, une histoire du son dans l’art du XXème siècle, exposition au centre Pompidou, musée national d’art moderne, 2004.
• " Corps étrangers", Marcella Lista, Louvre éditions.
• a different way to move. Minimalisme, New-York, 1960-1980, exposition au Carré d'art à Nimes, 2017.
• Oskar Bie, Der Tanz : Mit Buchschmuck von Karl Walser, und hundert Kunstbeilagen, Bard, Marquardt & Company, 1906.
• Giovanni Lista, Loïe Fuller, danseuse de la Belle Époque, Paris, Hermann, 2006.
• Le Festival de l’histoire de l’art, château de Fontainebleau, du 2 au 3 juin 2023.
• Tyler Jo Smith, «  La céramique comme scène : des liens entre la danse et les vases grecs antiques », Perspective [En ligne], 2 | 2020.
• L'après-midi d'un Faune, de Nijinsky, dansé par Noureev, 1982.
• Almanach Der blaue Reiter, Vassily Kandinsky, 1911, conservé au Centre Pompidou.
• " Eric Baudelaire - Faire avec", Erika Balsom, Marcella Lista, éditions Paraguay, 2022.
• Chaîne YouTube de l’INHA.
• Agenda de l’INHA .

Extraits musicaux

• " Premier hymne delphique à Apollon", composé par un athénien du IIe siècle avant notre ère, et ré-interprété en 1978, par l’Atrium Musicae de Madrid, sous la direction de Gregorio Paniagua.
• "Chanson 2 - Rituel : « Ich sehe genügen lange…", extrait d'une oeuvre (film) d'Ulla von Brandenburg " Le milieu est bleu" (2020).